LES DOIGTS ROUGES de Keigo Higashino

Une petite fille en deuxième année d’école primaire est retrouvée morte dans les toilettes publiques d’un parc aux ginkgos. Commence alors l’enquête afin de débusquer la vérité.
L’originalité de ce roman policier c’est qu’il s’agit moins de découvrir le coupable que de mettre à nu les dysfonctionnements d’une famille Highishino se livre à l’autopsie de la société japonaise et met en relief les maux qui contribuent à la gangrener : l’éducation des enfants, les relations avec les aînés, le vieillissement de la population.
Les Maehara appartiennent à la classe moyenne, ils constituent en apparence seulement une famille normale. Le père âgé de 47 travaille dans une grande entreprise, la mère de 42 ans concilie son travail au supermarché et l’éducation de leur fils Naomi passionné de jeux vidéo. Quant à la mère d’Akio âgée de 72 ans, elle vit avec eux depuis le décès de son mari.
À la faveur du crime commis dans leur jardin le vernis se craquèle et les failles de cette famille apparaissent au fil du roman.
Un mari sous influence

Tout d’abord le mari Akio a épousé une femme sans passion dont l’attitude va contribuer à dégrader les relations qu’il noue avec ses parents et sa soeur. Par lâcheté il accepte toutes les décisions de sa femme et s’éloigne de sa famille, car il a compris rapidement que Yaeko était réticente à l’idée de s’occuper des parents vieillissants. Peu présent pour son père au moment où celui-ci tombe malade, il préfère se réfugier dans le travail et faire l’autruche jusqu’au décès de ce dernier.L’influence de sa femme conditionne le moindre de ses gestes au point qu’il abandonne l’idée d’acheter un houzou pour faire plaisir à sa mère, puis celle d’aller voir la police afin de révéler la vérité.
Si Akio accepte de vivre sous le même toit que sa mère, après sa chute et sa fracture, c’est cependant à une condition, celle que sa femme, Yaeko, n’aura pas à s’occuper d’elle. D’ailleurs la mère très rapidement ne prend plus ses repas avec eux, nourrie de sandwichs qu’on lui dépose devant sa chambre.Face à cette atmosphère pesante et dénué d’amour Akio devient un père fantôme, n’hésitant pas à découcher plusieurs soirs par semaine.Mari infidèle, père totalement absent, il est également un fils dénué d’amour pour sa mère, se reposant beaucoup sur sa soeur Harumi.
Akio est un homme qui fuit les problèmes et qui sous l’influence de sa femme devient un étranger pour ses parents, totalement en décalage avec la famille, il ignore les démarches effectuées par sa soeur où ce qui se noue véritablement au sein du couple de ses parents. Plus tard il en vient parfois à éprouver de la haine et à maltraiter sa mère. Seul le piège tendu à la fin du roman lui permet de retrouver une conscience. Et un peu d’honneur.
Addiction, éducation et jeux vidéo

Depuis le Covid s’est développé au Japon le phénomène des « hikikomori », c’est-à-dire de ces jeunes qui demeurent enfermés chez eux, les yeux rivés sur leurs ordinateurs. Si le livre fait allusion à l’addiction, il en expose les causes en dénonçant une éducation permissive et dénué d’amour.
Naomi n’est élevé que par sa mère, cette dernière le surprotège depuis son plus jeune âge. Devenu sa principale raison de vivre , tout gravite autour de lui, au point que Yaeko délaisse son ménage et ne cuisine que pour l’enfant, préférant acheter des plats tout préparés pour son mari. Cette femme- louve n’accepte aucun reproche. Elle privera même les grands-parents de leur petit fils à la suite d’ une remontrance.Privé d un foyer chaleureux, Naomi ne peut développer sa sensibilité, la mort de son grand-père le laisse donc de marbre. Confronté à la mort ou au crime, il demeure imperturbable.Plus grave, cet enfant assez seul se renferme dans un monde virtuel ne vivant que pour ses jeux vidéo. De ce fait à 14 ans, Naomi est devenu un adolescent renfermé avec lequel aucun dialogue n’est possible. Il ne connaît comme moyen d’expression que les insultes ou la violence, n’hésitant pas à jeter la télé- commande de son jeu sur son père dès lors qu’il vient le déranger. Or loin de l’aider, les parents ne font que le conforter dans cette monstruosité, produit d’une éducation qui ne lui a pas appris la frustration et le sens des valeurs familiales. Interrogé par un policier il accusera ses parents.Or cette accusation ne fait que mettre en lumière la part de responsabilité de tout parent dans la construction de son enfant.
Vieillissement

Le livre a également le mérite d’aborder un autre problème de la société japonaise, celui de son vieillissement. En effet 35 millions de japonais sont âgés de plus de 65 ans au point que les retraites pèsent de plus en plus lourdement dans le budget national. Si l’auteur aborde les relations qu’entretiennent les enfants avec leurs parents, il dévoile surtout l‘absence de structures destinées à pallier les maux de la vieillesse. En effet les enfants doivent s’occuper des parents vieillissants, en raison de l’absence de structures adaptées, les mesures gouvernementales étant insuffisantes.C ’est pour cette raison que Akio accepte de vivre avec sa mère, fragilisée après être tombée.De plus il cherche également à se soustraire aux critiques et au regard que la société japonaise pourrait porter sur lui en tant que fils.
On se rend compte que face à la démence sénile de son père, la famille ne trouve aucun établissement susceptible de l’accueillir au point que sa femme doit continuer à s’occuper de lui jusqu’à son décès, même si cela se fait au détriment de sa propre santé.
Le livre en jouant sur les liens familiaux celle de deux policiers qui sont cousins oppose ainsi deux vieillesses celle de Takamassa, le père de Kaga, le policier, et celle du père d’Akio.Si ce dernier n’affronte pas les problèmes préférant ignorer tous les troubles générés par la maladie de son père, dont la mort révèle une certaine solitude,Takamassa reçoit les visites de son neveu et de sa soeur qui l’entourent de leur amour. Même son fils Kage sera présent à sa manière jusqu’à la fin.
Keigo Higashino renouvelle totalement le genre du roman policier, car le coupable nous est révélé dès le début. Il nous brosse non seulement un portrait de la société japonaise, mais aussi nous plonge dans les abysses de l’âme humaine en pratiquant l’autopsie d’un famille ordinaire. Un livre édifiant sur l’éducation et les dérives parentales actuelles.