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DOISNEAU, Le merveilleux quotidien, du 14 octobre au 28 janvier 2024

Musée de la photographie, Charles Nègre

 Renvoyé des usines Renault pour avoir été en retard, Doisneau  a rencontré Cendrars et Prévert. À 82 ans il laisse 450 000 négatifs dont le plus célèbre est le Baiser de l’Hôtel de ville. L’exposition nous invite à un retour en arrière, nous plongeant dans le Paris des années 30 à 1970. 

Évoquer cette exposition c’est aussi rendre hommage à mes grand-parents, à mon grand-père maternel qui tenait une épicerie-café, rue des peupliers, à mon grand-père paternel, ouvrier chez Renault à Boulogne Billancourt, car ces clichés laissent la part belle aux petites gens, concierges, cabaretiers ou enfants. C’est aussi le Paris populaire qui se dévoile : les terrains vagues de la poterne des peupliers dans le treizième arrondissement, là où coulait  la Bièvre ou encore le dix huitième qui comprenait la Goutte d’or, les  quartiers de Clignancourt et les grandes Carrières.

Ces photos bruissent de milles voix, de bruits anodins oubliés et parfois familiers, tapis dans un coin de notre mémoire: le choc des verres sur le zinc, sur fond d’Internationale ou de slogans politiques. Le poing brandi du cabaretier rappelle les heures de gloire du parti communiste qui, en 1950, commémorait Thorez en grande pompe.

Ces photos  sont un hommage  également à des métiers en voie de disparition: les concierges qui, dans leur loge souvent placée en rez de chaussée, surveillaient passants ou entrées d’ immeubles.

Avec nostalgie réapparaissent les habitudes, les gestes d’une France qui, à cette époque, savait prendre le temps de lire son journal, d’écouter la TSF ou le carillon du coucou égrenant ses heures.Pastichant Bertall qui avait esquissé un immeuble en coupe, paru en 1865 dans Le Diable à Paris, Doisneau s’amuse à réaliser un montage nous donnant à pénétrer dans l’intimité des différentes classes sociales: femmes esseulées trouvant refuge dans l’affection de leurs animaux de compagnie ou de leurs bibelots, bourgeois dans la salle d’attente d’un médecin, ou encore, ces classes moyennes dont la salle à manger s’enorgueillit de l’éternel bahut Henri II.

Enfin le Paris évoqué est celui de Gavroche ou des Poulbots. Héritier des personnages de la Guerre des boutons de Louis Pergaud, l’enfant de la poterne des peupliers saute en toute liberté et dans l’élan de sa jeunesse s’affirme le goût du jeu et de la facétie. Un brin insolent, voire provocateur, le jeune garçon de la place Hébert tourne résolument le dos à un poste indiquant police, alors qu’un deuxième larron, en arrière plan court comme pour camoufler quelque méfait.Enfin avec leurs gros souliers et leurs habits rustiques regardant le spectateur les  petites filles semblent incarner cette :

«  … voix déchirée et fragile

enfantine et désolée

Venant de loin et qui m’appelait… » (Miroir brisé de Prévert)

Céder à la mélancolie ne conviendrait cependant guère à celui qui a aussi pratiqué l’ironie. Ce mordant est particulièrement visible dans les clichés de Palm Springs, la géométrisation voulue avec ses losanges verts et blancs ou ses lignes de parkings évoquent un monde trop propret pour être honnête, un brin superficiel à l’image de ces retraitées arborant des chapeaux fantaisistes qui  reflètent le travail fourni par ceux qu’elles emploient.

 Ces clichés colorisés, réalisés qu’en 1960 semblent ainsi annoncer l’univers factice des « suburbs » dans Edward aux mains d’argent de Tim Burton, un monde rectiligne où le rêve n’a  guère sa place.

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