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MARSEILLE 73 de Dominique Manotti : un roman noir engagé.

EN BREF

POUR ALLER PLUS LOIN

 En arrière plan demeure de façon vivace ce refus de l’indépendance de l’Algérie qui a permis à l’OAS de se constituer. Ainsi se dessinent différents groupuscules, au sein desquels évoluent des pieds noirs nostalgiques de l’Algérie française: d’un côté l’UFRA(Union des Français rapatriés d’Algérie) dont Asensio est le fondateur soupçonné de trafic d’armes, de l’autre des policiers  compromis et corrompus, qui arrivés à Marseille en 1964, ont été affectés, après leur rapatriement, notamment dans le commissariat du XV arrondissement : Solal, Picon et Girard.Tous ces pieds noirs disposent de lieux de ralliement, le café bar de Pereira, d’un club de tir et d’un journal pour répandre leurs discours haineux : Le Méridional, dont le rédacteur Domenech est proche des membres de l’OAS.

Racisme et violences politiques

Xénophobes et racistes, ils ont transformé Marseille en une chasse gardée, faisant de cette ville  leur territoire. Des ententes secrètes se nouent entre policiers et UFRA, mais également ente voyous et hommes de l’ordre, criminels et milieux politiques, un moyen pour eux de reconstituer leur communauté et de peser dans la vie locale.Des collusions se créent entre préfet et procureur de la justice au grand dam des victimes : les arabes.

Des milliers de personnes accompagnent les dépouilles des Algériens victimes des attentats perpétrés à Marseille, décembre 73

Dominique Manotti mène l’enquête

 En effet Marseille vit dans un climat de guerre coloniale dont Manotti nous rend compte de façon scrupuleuse. Pour ce faire elle choisit la forme du compte rendu en suivant de façon quasi journalière les événements qui commencent le Mercredi 15 août et se terminent le Lundi 8 octobre, donnant à ce roman la forme d’un documentaire.L’écrivaine a soin d’insérer, dans ce qui résonne comme un compte à rebours, une marche vers la vérité, des coupures d’extraits du quotidien de Marseille. Propos erronés, articles faisant la part belle aux préjugés, les meurtres racistes n’occupent guère que quelques lignes souvent mal placées.

Les  Arabes meurent dans l’indifférence la plus totale, aussi lorsqu’un policier s’enquiert du nombre d’homicides, l’auteur en profite pour dresser une sorte de liste destinée à exacerber ce jeu de massacre: « Du 24 au 28 août, entre l’assassinat de Guerlache et son enterrement nous avons encore deux assassinats de Maghrébins, un cadavre retrouvé sur le Vieux Port(..)Et trois morts de nouveau cette nuit et ce matin, un Algérien abattu à la hache, un noyé dans le Vieux Port et notre Malek Khider tué par balles.….»

Racisme, collusions politiques, meurtres dans une ville où se retrouvent face à face pieds noirs et arabes.

Nostalgiques de l’Algérie française: immigration et racisme

1962 , un partisan de l’Algérie. française en flagrant délit

FN, discours à la mutualité
Algerian emigrants in a street of the Arab quarters. Marseille (France), 1974. Marseille, France

Rôle de l’extrême droite

 Cette violence qui irrigue tout le roman est en partie nourrie par l’extrême droite.  

En 1972 Jean Marie Lepen, ancien para de la guerre d’Algérie a fondé le front national.Dans ses rangs on compte entre autres Bidault, ancien de l’OAS, et des adhérents de l’ordre nouveau. Lors d’un discours prononcé à la mutualité le 21 juin 1973 le thème est lancé : « Halte à l’immigration sauvage » . Ces mêmes slogans fleurissent sur les murs de Marseille au moment de l’enterrement de Guerlaches, un conducteur de tramway, assassiné par un algérien en proie à la démence.Dans cette logique de guerre peu importe que cet arabe soit un irresponsable, ce meurtre justifie des représailles et appelle la vengeance.

 Ce climat s’explique également par la complaisance de certains politiciens qui depuis les événements de 68 se sont radicalisés.De Gaulle n’a pas hésité à s’appuyer sur le SAC, qui, créé en pleine guerre d’Algérie, est devenu une sorte de police parallèle qui s’est souvent manifestée par des affrontements violents contre les communistes et dont certains membres ont eu des démêlés avec la justice. Manotti multiplie les allusions historiques.Des noms sont cités Pasqua,  fondateur d’un SAC dissident,Giscard d’Estaing, Poniatowski présentés comme des sympathisants.

Les deux visages de Marseille

Marseille contaminée par cette haine de l’autre se déshumanise. Elle devient tour à tour, sous la plume de l’auteure, une bête assoiffée de sang, un décor de théâtre qui  transforme l’enterrement du traminot en une scène de tragédie afin d’exploiter cette mort à des fins sanguinaires. Derrière le décor en carton pâte de la cité ensoleillée, derrière le pastis et l’aïoli, au-delà de la bonhommie de façade des marseillais, sourd une violence qui défigure la ville et la rend abjecte aux yeux du commissaire Daquin nouvellement muté. La cité phocéenne n’est plus qu’une famille dénaturée qui, à force de vivre en vase clos, s’est perdue en multipliant les mariages consanguins.

Des bars représentatifs des différents camps donnent à la ville sa géographie particulière. « Le Terminus », situé au nord de Marseille est celui que fréquente Malek, là où il sera tué. Dans le centre « Le Foudre », est le quartier général des anciens de l’OAS, « Le Grand Henri » présente la même couleur politique que le précédent et le journaliste Cipriani  ne peut peut fréquenter ce bar que parce que son père a combattu en Indochine et en Algérie.

Marcellin Fontanet

Des faits réels: émeutes grassoises

Grasse, émeutes dans le centre ville,1973

Or, c’est dans ce contexte qu’apparaît au début des années 1972 la circulaire Marcellin Fontanet signée par deux ministres du gouvernement Jacques Chaban Delmas sous Pompidou. Cette circulaire, née du désir de réguler les mouvements migratoires en France, subordonne toute carte de séjour à un travail et un logement décent.Plusieurs travailleurs immigrés risquent de ce fait d’être considérés comme des travailleurs clandestins et devenir expulsables. Cette circulaire est le détonateur qui justifie à la fois les violences de l’extrême droite et les grèves des  travailleurs immigrés entendant faire respecter leurs droits. 

L’auteur, en prologue, revient ainsi sur les événements de Grasse en 1973 au cours desquels le maire conservateur de Fontmichel, refusant tout dialogue avec les grévistes arabes, procèdera à la dispersion de la manifestation en usant de la lance à incendie.Les événements de Marseille sont présentés comme le prolongement de ce  racisme qui gangrène tout le sud et qui s’infiltre au sein d’une  population n’aspirant qu’à se débarrasser des arabes.

L’Histoire au coeur de ce roman

La guerre d’Algérie

Dominique Mattoti, à partir du meurtre gratuit commis sur Malek Khider, démontre non seulement le maillage subtil qui existe entre les bourreaux, mais aussi ce passé commun qui, depuis la guerre d’Algérie, continue d’opposer criminels et victimes. Pour ce faire elle a  soin de rappeler le parcours des différents personnages. Du côté des victimes, la famille Khider  a subi les exactions perpétrées par l’OAS : la mère a perdu toute sa famille et en est morte de chagrin. 

Du côté des bourreaux Picon, déstabilisé par l’indépendance de l’Algérie, entend continuer sa guerre en montant un camp d’entrainement militaire dans le Var, avec l’appui d’Asensio, afin de  poursuivre son travail d’épuration.

Mais ce passé déborde la guerre d’Algérie, il a façonné les hommes. Il a conféré au père de Malek toute sa dignité, c’est la raison pour laquelle il arbore ses médailles de guerre lors de sa confrontation devant le juge Bonnefoy qui doit instruire l’affaire de son fils. 

La résistance

De façon allégorique apparaît en filigrane la grandeur d’une France résistante face à une France collaborationniste, puisque le juge a oeuvré  pour les Allemands. Cette France combattante qui se dresse face à la France des compromissions se retrouve incarnée dans deux avocats Maître Berger, chargé de la défense des frères Khider et Maître Royer plus proche des affairistes et criminels. Deux camps, deux visions d’un même pays.

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