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YAN LESPOUX , Mourir pour le monde

EN BREF
POUR ALLER PLUS LOIN



Invasion du Portugal par l’Espagne,1580/1583

Un roman d’aventures sur fond de rivalité maritime entre les espagnols et les portugais  d’une part, et les britanniques et les hollandais d’autre part, dans une course aux épices et aux matières précieuses durant le XVII siècle.Combats, tempêtes, et naufrages nous conduisent graduellement des Indes aux zones marécageuses du Médoc.Au sein de ces conflits entre grandes puissances trois hommes et deux femmes essaient de se frayer un chemin et une voie vers la liberté.

Le partage du monde


Le goût pour les épices a émergé vers la fin du Moyen Age.Or, après la chute de Constantinople, il a fallu rapidement trouver une route commerciale différente de la route de la soie.Les portugais lancèrent des expéditions maritimes et devinrent rapidement les maîtres de la mer et des océans. Toutefois cette domination a été menacée dès la fin du XVI par l’Angleterre et les Pays Bas qui ont formé respectivement  la Compagnie anglaise des Indes orientales et la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en 1599 et 1602.Le roman de Yan Lespoux, à travers le personnage du capitaine Meneses, rend compte de cette volonté d’asseoir la domination portugaise.

Fier d’être portugais

Le roman s’ouvre sur un premier combat naval au désavantage du capitaine.Ce dernier refusant la reddition préfère incendier son navire et décharger sa cargaison plutôt que d’’accepter une main mise anglaise.Ce refus d’obtempérer et ce sens de l’honneur animent le personnage tout au long du roman. Salvador di Bahia tombée aux mains des hollandais, Meneses ne rêve que du retour de la ville dans le giron portugais.Heureux de faire partie de l’armada qui doit venir en rescousse à la ville, il éprouve du plaisir à couler les navires ennemis et assouvit ainsi sa soif de vengeance, après l’humiliation subie, liée au naufrage de son navire.Même lorsque Bahia est redevenue portugaise Meneses  n’hésite pas à combattre les navires hollandais, dès qu’il en croise un.

Rivalités coloniales

Le roman met en exergue les rivalités entre puissances, y compris entre l’Espagne et le Portugal, ce dernier ayant été annexé par l’Espagne en 1580. Meneses supporte difficilement cette vassalité, il défend avant tout l’honneur du Portugal, et met tout en oeuvre pour être nommé à la tête d’une armada portugaise, car il cherche toujours à affirmer la prééminence de son pays.

Religion et pouvoir

À ces rivalités commerciales s’ajoutent les différences religieuses, les portugais sont catholiques alors que les hollandais sont protestants.Or chacun entend étendre sa sphère d’influence.Les jésuites s’emploient à convertir les indiens Tupinambas et un évêque tente de reconquérir Salvador di Bahia.Le visage arboré par la religion est celle du pouvoir selon les puissances coloniales en jeu.Avec le retour du Portugal le Saint Office règne de nouveau en maître sur la ville, usant d’autodafés afin de prouver sa puissance, il terrorise les vivants en leur montrant qu’il peut les persécuter même après leur mort.

Reconquête de Bahia

Bienvenue en enfer !


 Les villes fréquentées par les personnages, Salvador di Bahia ou Goa, n’offrent que le visage de la violence ou de la cupidité et chaque bataille s’accompagne de son lot de  viols, pillages.Les hommes n’hésitent pas à trahir leur pays pour obtenir les faveurs du plus offrant, ainsi Louis Gomes un portugais propose ses services à l’Adil Shahil et  s’emploie à construire des canons. Pour atteindre  ses objectifs il fait preuve de violence à l’égard des ouvriers, fouette les indiens au mépris de leur vie.Teixeira ou Diogo assistent souvent en spectateurs à ces débauches de tueries au point qu’ils soient écoeurés par leurs congénères. Teixeira, confronté à l’inhumanité de Louis Gomes, ne peut s’empêcher de lui asséner un coup de poing.Il parvient même à la conclusion  que la colonisation n’est qu’un vaste vol.Quant à Diogo et Ignacio ils se rendent compte que les hommes sans foi, ni loi, agissent comme des bêtes, exterminent aussi bien les esclaves noirs que les nouveaux chrétiens, ne faisant aucune distinction souvent entre ennemis ou amis. 

Dans ce monde gangrené par la corruption, les diamants de l’Adil Shahil  deviennent de ce fait un objet de convoitise non seulement  de la part des puissances coloniales, mais aussi de ceux qui espèrent échapper à leur condition et ne plus être les pions d’enjeux qui les dépassent.

Se faire une place

En effet tout le roman tourne autour de la question de la place .Teixeira dès son plus jeune âge est conscient d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Depuis  son enfance une fatalité s’acharne contre lui : la mort de sa mère , puis les coups de son père. Aussi très tôt il éprouve le besoin de se frayer un chemin seul. Parce qu’il a le sentiment d’être utilisé par les puissances coloniales, de n’être qu’un pion entre leurs mains afin de satisfaire leurs ambitions ou leur cupidité, Fernando veut pouvoir se libérer de ce joug et contrôler son destin afin d’avoir le sentiment d’être  au bon endroit au bon moment. S’emparer des diamants est un moyen d’y parvenir.Pour Diogo depuis la  mort de ses parents puis sa rencontre avec l’indien Ignacio, Meneses représente, pour les deux jeunes garçons, la possibilité de « trouver une place dans le monde », c’est la raison pour lequel ils le suivent aveuglément.


De la sujétion à l’émancipation

Zone marécageuse


L’originalité de ce roman, construit sur une analepse, est de tisser des liens entre des personnages qui se ressemblent et qui vont petit à petit finir par se rencontrer. Le roman s’ouvre sur le Médoc et sur le personnage de Marie qui en 1627  va aider Teixeira à survivre après le naufrage de son navire.Grâce à un retour en arrière de 4 ans le lecteur se familiarise avec la vie de Marie qui, attirée par d’autres horizons, part à Bordeaux tenter sa chance en espérant se soustraire à la vie misérable de ses parents.CommeTeixeira, elle souhaite être « au bon endroit au bon moment ». Chacune de ses actions est une façon de  trouver son indépendance en se libérant non seulement de ses conditions de vie, mais aussi  de la tutelle de Louis, son oncle qui l’a recueillie.En suivant en parallèle le parcours de Marie et celui deTeixeira l’auteur entend défendre ces petites gens assujettis par tous ceux qui détiennent le pouvoir. D’ailleurs l’autre personnage féminin, Sandra, dont Teixeira tombe amoureux à Salvador est animé, elle aussi par un désir de revanche.La construction du roman met en lumière cette métaphore de l’échiquier sur laquelle les quatre personnages se trouvent . Chacun dans leur case, ils essaient d’attaquer le Roi pour parvenir à un échec et mat. En réunissant Fernando, Diogo, Ignacio et Marie à la fin du roman , l’auteur leur permet à chacun de se libérer non seulement de Meneses, mais aussi de tous les puissants.


POUR CONCLURE

Yan Lespoux tout en nous livrant un récit épique, brocarde quelque peu la religion et la colonisation. Il nous invite également à un voyage  sensoriel en nous dépeignant avec force détails, les conditions de vie à bord des bateaux ou la sauvagerie des zones marécageuses du Médoc enlisé dans le sable.Un roman qui a du souffle !

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