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MARIA LARREA, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent

EN BREF

un roman où le personnage principal se mue en détective pour enquêter sur ses origines. Entre autobiographie, roman policier, Maria Larrea joue sur les genres afin que la vérité puisse émerger.

POUR ALLER PLUS LOIN

Maria Larrea est une scénariste, qui a étudié à la Femis et le cinéma est l’exutoire que s’est offert l’écrivaine pour se construire et panser ses blessures.

Son  roman fonctionne comme un court métrage. Le prologue donne  effectivement le ton. À  la manière d’un clap d’ouverture, on commence sur une scène celle d’une naissance, un embryon de scénario pour lequel il faudra reconstituer toutes les images.

MariaLarrea adopte, au cours de son roman, une double posture, celle de réalisatrice et d’actrice.

En effet, parfois, elle se place derrière la caméra et utilise la troisième personne pour évoquer l’histoire des ses parents : Victoria et Julian.

En revanche pour aborder son parcours personnel, elle privilégie la première personne.Tout au long du roman elle tisse son autobiographie avec ce qui pourrait sembler une fiction romanesque : l’enfance  difficile de ses deux parents, leur rencontre, leur désir d’enfant.

Ce décrochage énonciatif agit comme une greffe dont les raisons semblent liées à son adoption. D’ailleurs elle n’entre en scène qu’après avoir posé la relation qui unit  Victoria à sa propre génitrice.

Cette esthétique filmique  se ressent dans la façon dont elle peint les personnages. 

Elle donne à Julian des allures d’acteur. Pour brosser le portrait de  ce père, l’écrivaine emprunte certains traits aux marins de Gaultier : la beauté, le sac de toile, au moment du départ, ou encore le  tatouage, un coeur transpercé d’une flèche, vestiges de son passé à bord d’un bateau.

 En outre  on peut affirmer que cette esthétique filmique est justifiée en partie par le mensonge sur lequel est construite la vie de Maria Larrea. La grossesse de Victoria  prend la forme d’un foetus en polyester et l’accouchement se limite à une enveloppe donnée au gynécologue en contrepartie d‘une petite fille. Faire semblant, taire la vérité, donner le change en construisant une famille illusoire sont les choix auxquels ce couple a été condamné. Le théâtre constitue  d’ailleurs un décor parfait pour jouer la comédie à laquelle ils se prêtent.

Le septième art offre, de plus, l’illusion, le rêve, la possibilité de devenir autre.

Peut-être en raison de son poste de gardien au théâtre de la Michodière, Julian éprouve le besoin de se conduire comme une vedette lorsqu’il quitte Paris et retourne à Bilbao.Il troque alors ses habits de pauvre, se forge l’image d’un riche plein aux as car ce jeu représente, pour lui, une revanche sociale sur son passé misérable.

Or cette nécessité d’échapper à la réalité est  déjà ce qui caractérisait la mère de Julian, une prostituée heureuse de s’identifier à l’héroïne du film de  L’Herbier, « Les Portes du large », lors d’une séance de cinéma.

Ce film au titre évocateur laisse déjà entrevoir le destin de Julian qui  fera tout pour fuir Bilbao, aller en Galicie et s’engager dans la marine.

De ce fait les scènes que nous narre Mara Larrea emprunte à plusieurs genres cinématographiques.

Les westerns lui fournissent matière à mettre en lumière le besoin d’héroïsme  de cet homme rongé par les frustrations et les vexations, notamment le moment où ,sous l’emprise de l’alcool, Julian décide de tirer dans un panneau de signalisation. Les duels marquent les confrontations que Maria Larrea  va vivre face à une employée administrative.

Le  genre du polar convient en revanche pour matérialiser l’enquête menée par l’auteure sur ses origines.La révélation de l’imposture réalisée par ses parents éclate lorsqu’une tarologue lui révèle que Julian n’est pas son père. C’est en assaillant sa mère de questions, que Maria Larrea apprend qu’elle a été adoptée. Commencent alors des recherches qui mobilisent aussi bien matériel (internet, google) que personnel humain (employée de l’hôpital, détective, généalogiste) . Cette enquête aux multiples rebondissements est un voyage qui la conduira sur les traces de sa mère nourricière puis celles de sa  génitrice.

Mais ce livre est aussi une réflexion sur la maternité qui occupe une place centrale dans ce roman.

Si Victoria et Julian ont souffert de la désaffection de leurs mères, si leur enfance a été placée sous le signe du manque, Maria Larrea dès le début de son récit autobiographique oppose  le vide de la jeunesse de ses parents au bonheur qu’elle a connu, lors de ses sorties d’école, grâce à la présence de Victoria.

De même la stérilité du couple contraste avec la fécondité de l’auteure qui tombe enceinte à plusieurs reprises et n’accepte de devenir mère qu’à 25 ans. Celle qui se considère comme orpheline a connu la générosité  d’une mère nourricière, la chaleur d’un foyer et leur trio, malgré ses dysfonctionnements, fait ressortir encore plus le caractère aseptisé de ces familles bourgeoises espagnoles qui, au nom des convenances, ont préféré abandonner des enfants non désirés.

Ce livre est  donc un hommage rendu à un couple qui a su créer un lien plus fort que les liens du sang. En nous replongeant dans le passé de ses parents, Maria Larrea exhibe les blessures endurées, les souffrances.Elle parvient à nous faire aimer ce pilier de bistrot rongé par la mélancolie, les humiliations et son incapacité à pouvoir procréer, tout comme Victoria noie ses angoisses en absorbant des médicaments. 

Privés de la richesse de l’enfantement, ces deux êtres à la dérive ressentent encore plus leur pauvreté. Mais leur amour pour l’enfant est indéfectible, en témoigne ce moment où l’enfant est victime d’une crise urinaire fulgurante, l’angoisse qu’ils éprouvent alors tous deux permet de mesurer la profondeur de leurs sentiments.

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