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IRAN

SHOKOOFEH AZAR, Quand s’illumine le prunier sauvage : Magie ou poésie?

En bref

Une famille meurtrie par la révolution islamique de 1979.La poésie et l’imaginaire comme exutoires à la violence.

Pour aller plus loin

La destruction d’une famille éprise de culture

La république islamique instaurée en  février 1979 qui  se présentait  comme un  espoir après la dictature du chah apparaît dans ce livre comme un régime totalitaire. Ce que dénonce Shokoofeh Azar c’est le régime de le terreur et de cruauté mis en place par Khomeiny. Elle choisit pour ce faire une famille qui possède une maison kadjare.  

Cette dynastie qui a régné du XVIII jusqu’à l’avènement des Pahlavi en 1925 a permis le développement de la musique, de la peinture, des arts, des tapis. Ce rayonnement culturel transparaît ainsi à travers les meubles, les bas reliefs, les portraits que contient cette maison dotée d’une bibliothèque impressionnante. 

 Chaque membre de cette famille entretient un lien intime avec la culture : la mère nomme son fils Sohrab en l’honneur du poète Sohrab Sepehri, le père confectionne des târ, leur fille Beeta avale goulûment des livres portant sur les mythes, quant au fils la lecture de pamphlets interdits le conduira en prison.

Le régime de Khomeny va  meurtrir dans sa chair cette famille en s’attaquant à ses enfants tout en détruisant le monde de savoirs et de culture qu’elle représente.

La narratrice, Bahar, est brûlée vive alors qu’elle est âgée de 13 ans, Sohrab est pendu après avoir été affamé et torturé dans les geôles d’Evin, Beeta arrêtée lors d’une manifestation estudiantine.

Zathoustra et le roi de Perse

Destruction du passé

palais du Golestan, Théhéran
le poète Sohrab Sepehri

La vision de l’Iran que nous propose Shokoofeh Azar est celle  d’un pays qui  s’est éloigné de plus en plus de son passé, qui a renié ses racines ancestrales, s’est détourné du zoroastrisme pour adopter l’islam. Or cette religion antérieure à la conquête arabe du VIII siècle, qui préconisait de faire le bien, de vaincre le feu, de lutter contre l’oppression, de cultiver la joie de vivre et de rejeter l’idolâtrie…. semblait empreinte d’une plus grande liberté que celle imposée par la  république islamique.  Avec l’apparition des gardiennes de la moralité les femmes doivent avoir recours au hijab et la mère de Bahar ne peut plus évoluer sans son foulard.

Hossein Maher

Cette destruction du passé  qui culmine avec  la destruction de la maison  familiale de Téhéran représentent également  la revanche des ignorants, d’êtres frustres n’aspirant qu’à usurper le pouvoir ainsi que les places occupées par la bourgeoise iranienne.  

La maison de Razan, située non loin d’un temple zoroastrien constitue de ce fait pour cette famille privée de ses deux enfants un refuge, le désir de se soustraire à la laideur de l’Histoire, de recouvrer la liberté  et  la possibilité de renouer avec la Nature.

Nature, beauté et magie:contrepoints à la violence.

Dans cette province de Mazandaran d’étranges correspondances vont se tisser entre les émotions des personnages et les phénomènes naturels qui se produisent. La neige noir qui s’abat scelle le deuil de la famille en proie au chagrin depuis la perte de leur deuxième enfant. Puis, Beeta, lorsqu’elle revient vivre dans cette maison, après avoir séjourné à Téhéran, exerce ses sens afin de percevoir l’indicible beauté de ce qui l’entoure : la naissance d’une goutte de rosée ou le soupir d’une fleur.

 Les dérèglements de la nature ne sont bien souvent, dans ce roman, que le prolongement de la cruauté et de la la barbarie exercée par les gardiens de la révolution : des hirondelles, ayant commencé leur migration trop tôt, vont mourir en même temps que les prisonniers d’Evin les corps des animaux se mêlant aux corps ensanglantés des jeunes hommes. 

L’un des plus beaux moments de ce roman est la marche qu’entreprennent les mères orphelines de leurs enfants à travers la forêt. Protégées par un tigre, elles sont accompagnées d’un vol de libellules puis deviennent semblables à des papillons bleus, s’enfonçant dans l’obscurité de la canopée, plongeant  dans ces temps immémoriaux où vivants et morts dialoguent ensemble, où djinns et elfes règnent en maîtres.

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