IAN MANOOK , L’oiseau bleu

L’horreur du génocide arménien dépeint à travers le destin de deux soeurs.
Un roman qui mêle habilement personnages fictifs et réels
Le roman de Ian Manook, qui aborde le génocide arménien, commence en 1915 et s’achève à la veille de la seconde guerre mondiale. Chaque chapitre est construit sur une date et un lieu afin que nous comprenions que les massacres perpétrés par les autorités ottomanes correspondent au désir d’opérer une turquification de l’empire.

Les premières scènes sont lieu à Erzeroum, car c’est l’endroit d’où partent les convois de la déportation avec Diarbekyr, Trabzom,Blitlis, Van le district de Maras, Marmut ül Aziz, ces régions font partie des provinces arméniennes de l’Anatolie orientale.Ainsi nous assistons au départ de Krikor auquel on fait croire qu’on les mène vers Alep. Cette politique n’a pour but que de spolier les arméniens de leurs biens, de leurs richesses et de les exterminer. Non content d’avoir forcé Krikor à vendre sa maison, on l’oblige à se départir de cet argent sous le prétexte fallacieux qu’il n‘a pas déclaré cette somme.
Ce que nous narre Manook c’est le long calvaire de ces arméniens auxquels on fait croire à une déportation alors que la politique de Talaat Pacha ne vise qu’à l’éradication totale de ce peuple.
En effet la première étape de ce voyage consiste à séparer les hommes des femmes, ce qui permet d’abattre la gent masculine à l’abri des regards et en toute impunité. Si le voyage se poursuit pour les femmes et les enfants, la fatigue, la faim affaiblissent leurs corps qui n’ont plus alors qu’à succomber sous les lames des Kurdes qui les encadrent. Au terme de ce voyage le désert de Deir Ez Zor. achève cette extermination programmée.


On s’attache à suivre le périple de deux soeurs Araxie et Haïganouch qui sont les seules rescapées de la famille de Krikor. Avec l’aide d’une vieille femme, elles apprennent à tromper la faim, à se nourrir de graines récupérées dans le crottin. Cette marche pour ces femmes arméniennes n’est pas sans rappeler celle du Christ, un long chemin de croix qui atteint son point culminant avec ce qui pourrait évoquer le Golgotha : une montagne de cadavres qu’on les oblige à escalader.
L’horreur va décupler chez ces deux enfants un instinct de survie qui contraste avec la rationalité des calculs mis au point par les hommes politiques. Car les arméniens ne sont plus des hommes mais des chiffres avec lesquels on joue de façon à atteindre les objectifs visés.

L’originalité du romancier c’est de croiser le destin des ces arméniens avec celui d’une famille allemande les von Blitsch. Hilde Van Blitsch va subir un choc traumatique après avoir voulu se baigner dans une rivière dont un éboulis va céder sous le poids des cadavres et ainsi déverser dans les eaux limpides les corps mutilés des arméniens.De ce choc entre la beauté de la nature et la noirceur de l’être humain, va naître une prise de conscience chez les allemands des horreurs perpétrés par un gouvernement avec lequel ils ont tissé des liens d’amitié puisque les turcs sont un allié du Reich.Cela permet à Manook de croiser l’histoire individuelle d’une famille avec les enjeux politiques des états.
D’un côté des personnages fictifs inspirés par la famille de l’auteur de l’autre des personnages réels : outre Talaat Pacha, ministre de l’intérieur, nous croisons le ministre de la guerre, Enver Pacha, Henry Morgenthau, ambassadeur des Etats Unis qui oeuvre en faveur des Arméniens et le Docteur Nazim, défenseur de l’extermination des chrétiens et qui est le principal organisateur des bandes de tueurs de l’organisation spéciale.En introduisant Hitler au détour d’un chapitre puisqu’il se trouve dans le même hôpital que la fille du baron Van Blitsch, on devine sa fascination face à ce génocide que lui narre le père d’Hilde et on réalise qu’il fut une source d’inspiration pour planifier l’extermination des juifs.



Ce livre montre comment les nations étrangères, mais aussi les turcs prennent peu à peu conscience de l’ampleur de ce désastre.
C’est tout d’abord l’officier qui encadre les déportées, passionné d’Apollinaire, qui met tout en oeuvre pour sauver la vieille femme et les deux enfants qu’elle protège.
C’est ensuite Saad Aydin le père d’une jeune fille, Assina, qui doit se soumettre aux coutumes ancestrales et épouser Soleiman. Dans le conflit qui l’oppose au mari de sa fille ce sont deux visions de la Turquie qui s’affrontent : d’un côté ceux qui cautionnent les actes du préfet de Bitlis, Mustafa Abdülhalik, responsable des massacres d’Arméniens au nom de la construction de l’état turc, de l’autre ceux qui privilégient l’humain et la morale et assistent impuissants au naufrage de l’armée. Il ne faut pas oublier que le 7 janvier 1914, 280 officiers supérieurs et 1100 officiers ont été congédiés et remplacés par des hommes appartenant au parti jeune turc.Ce délitement est celui d’un pays que la guerre va amener au bord du gouffre.
La leçon que nous donne ce livre c’est que seuls l’action individuelle et le courage permettent de sauver des vies et de contrer la mécanique impitoyable de la politique ou de certaines idéologies.