CHINE

YU HUA, La ville introuvable.
Le délitement d’un pays qui, à la fin de la dynastie Quing est en proie aux guerres et aux brigandages.
Des amours impossibles dans une Chine rurale où les croyances et les rituels règlementent encore la vie des habitants.
Un roman à la fois picaresque, romanesque et poétique.
Picaresque et réalité historique

Pour écrire ce livre Yu Hua emprunte au genre picaresque. SI ce genre de roman est caractéristique de l’Espagne au XVI siècle, on sait qu’en Chine, des récits romanesques sont nés au XIVè siècle grâce à une transmission orale due aux conteurs de rues ou de foires. Ils relatent souvent des histoires de brigands comme ceux qui jalonnent le roman de Yu Hua.
En effet en situant son roman à la fin des Quing, l’écrivain se sert de l’effondrement de la dynastie impériale pour narrer le chaos d’un pays qui sombre dans la violence et les brigandages.
Après l’abdication de Puyi en 1912, s’ouvre la période des seigneurs de guerre.Malgré l’ins- tauration de la république de 1912 à 1931 se succèdent 18 présidents de la République.
Le pays est en proie à une grande instabilité. Des guerres opposent l’armée du Guomindang à celle de Beiyang, créée par les Quing. Parallèlement foisonnent des bandes de brigands. Ils éliminent souvent les captifs qui ne leur apportent pas d’argent et torturent ou mutilent les enfants de ceux susceptibles de leur payer une rançon afin de forcer les parents à obéir à leurs exigences.

Soldats et brigands
Dans ce roman les frontières morales ou sociales sont souvent floues .
Certains brigands, issus de classes sociales pauvres, usent de cet expédient pour survivre. Ainsi celui qui se fait appeler Le Moine suscite la sympathie car l’on comprend que son choix de vie est une alternative à la pauvreté.Son comportement est d’ailleurs très différent de celui de Yang Yifu, particulièrement cruel, assoiffé de pouvoir.Le Moine amène chez sa mère, quitte à le porter sur son dos, un prisonnier qui sera soigné puis renvoyé chez lui une fois la rançon obtenue. À la fin du roman le brigand n’hésite pas d’ailleurs à rallier la milice des habitants de Xizhen pour poursuivre Yang Yifu et meurt en héros.
Les militaires par leur comportement se rapprochent parfois davantage des brigands que des gens honnêtes. Défaits par Tchang Kaï-chek, les soldats de l’armée de Beiyang suscitent la peur des habitants de Xizhen car ils tuent, pillent et violent, semant le chaos dans chaque lieu qu’ils traversent. La ville finalement ne doit sa survie que parce que le chef de la guilde, Gu Yumin, a compris que ces exactions n ‘étaient que le résultat de leur dénuement et de l’absence de solde. C’est en satisfaisant leurs désirs matériels et physiques, en leur confectionnant des vêtements, en leur livrant des prostituées et en les rétribuant qu’il parvient à sauver la ville. Confrontés à la civilité des habitants, les soldats recouvrent un semblant de discipline et d’honneur. Ainsi le commandant de la brigade proscrit toute violence et ordonne l’exécution d’un commandant de compagnie responsable d’un viol. Il quitte la ville, sous les saluts de la foule, et en rendant hommage au président Gu pour sa générosité.

Destin et quête amoureuse
Comme dans tout roman picaresque le destin agit pour contrecarrer l’amour que nourrit le personnage principal pour Xaomei. Lin Xingfu, agriculteur prospère ne trouve aucune femme à son goût. En revanche il est subjugué d’emblée par la beauté de cette étrangère qui arrive un soir d’automne soit disant accompagné de son frère, Aqiang. Le départ du jeune homme suite à la maladie de la jeune femme favorise le rapprochement des deux personnages qui tombent amoureux l’un de l’autre.Ce bonheur, concrétisé par un mariage, est de courte durée. La jeune femme énigmatique disparaît subitement après avoir subtilisé des lingots d’or.Lin Xingfu continue de vaquer à ses tâches non sans être obsédé par l’image de Xaomei au point que, dans ses rêves, il ne cesse de penser à elle. Or, un soir, elle resurgit porteuse de l’enfant de Lin Xingfu qui lui pardonne tous ses méfaits. Afin de conjurer le sort Lin Xingfu décide de se marier en respectant, cette fois, tous les rites . En dépit de cela, Xaomei disparaît à nouveau, un mois après l’accouchement de sa fille. À partir de ce moment Lin Xingfu décide d’hypothéquer ses terres pour partir à la recherche de la jeune femme. Commence une errance qui le mène à Xizhen où il finit par s’installer, persuadé que la ville inventée par Aqiang, Wencheng, est en fait cette petite ville. Sa quête toutefois restera vaine.

Calamités naturelles
Victimes des éléments naturels, les deux personnages vont se croiser sans se retrouver. Si le roman, dès le début, aborde l’errance de Lin Xingfu arrivant sous la neige à Xizhen, c’est que cet élément qui scelle l’amitié entre Lin Xinfgu et Chen Yongliang est aussi celui qui cause la perte de Xaomei.
Double point de vue et dissymétrie
Afin de mettre en relief cette destinée tragique Yu Hua commence son roman tout en narrant l’histoire à partir de Lin Xingfu puis celle de Xaomei, beaucoup plus courte. Ainsi en créant ces deux parties dissymétriques placées côte à côte l’écrivain met en relief non seulement l’échec des retrouvailles selon un chassé croisé tragique, mais aussi les engagements auxquels ne peut renoncer Xaomei depuis qu’elle est entrée dans la famille d’Aqiang comme enfant-fiancée. Par un effet de symétrie et d’échos les événements se répètent et s’éclairent. L‘auteur rend compte ainsi à la fois des choix et des déchirements successifs que va vivre la jeune femme.L’épisode de la tempête de neige en se transformant en une marche vers la mort marque alors l’acmé d’une vie marquée par la pauvreté, la culpabilité, la résignation et le renoncement.
Le deuxième amour impossible est celui qui lie la fille de Lin Xingfu au fils de Chen Yongliang. Là encore un mariage arrangé empêche la jeune fille de goûter au bonheur. L’intensité de leur amour se mesure aux tentatives qu’effectue le jeune homme pour revoir la jeune femme et aux lettres que cette dernière écrit mais que le jeune garçon ne recevra jamais.
Chine rurale
Si les éléments naturels, tornade tempête, jouent un rôle aussi important c’est que Yu Hua nous peint également une Chine rurale en décalage avec la modernité et l’occidentalisation que connaît la ville de Shanghai. La moindre catastrophe a un impact sur la vie des agriculteurs : une tempête de grêlons peut détruire leur gagne pain, tuer des animaux, alors que le bétail constitue souvent la moitié de la fortune d’un agriculteur.
Si certains paysans connaissent la prospérité grâce à leurs récoltes, puisque le personnage principal Lin Xiangfu dispose d’un coffre dans lequel il dissimule des lingots d’or, une grande partie vit de façon précaire, d’autant que les guerres détruisent les récoltes.Pour la famille de Xaomei confier leur fille à la famille Shen est une solution leur permettant de surmonter leurs difficultés tout en assurant un avenir convenable à leur fille qui ne connaîtra pas la faim.




Dans ces coins reculés, loin des grandes villes, rites et croyances rythment la vie des paysans.Une entremetteuse impute l’échec du premier mariage de Lin Xingfu aux signes zodiacaux et Xaomei est persuadée pouvoir changer les sexe de son enfant en courant autour d’un puits. Les hommes inquiets par la tempête de neige font intervenir des prêtres taoïstes afin de remédier à ces intempéries parce qu’ils croient fermement qu’ils peuvent, par leur action, rétablir l’équilibre de l’univers.
Shanghai, ville moderne
Cette religion et ces coutumes paraissent cependant totalement archaïques face à la modernité de Shanghai.
Pour fuir le joug de sa famille, Aqiang emmène Xaomei dans un périple qui les conduit vers de nouveaux horizons. C’est un nouveau monde qui surgit alors face aux deux jeunes gens où les dieux se nomment électricité, vapeur.
Depuis la guerre de l’opium la ville est partagée en concessions, ce qui favorise un mode de vie à l’occidentale : les hommes arborent des complets vestons et les femmes portent des qipaos fendus qui découvrent les genoux. Le couple Aqiang et Xaomei projeté dans ce nouvel univers apparaît comme un candide, à la fois émerveillé et apeuré par ces nouvelles technologies.Le retour à Xizhen symbolise une sorte de renoncement à leurs rêves de liberté et un enterrement.
Écriture poétique

Pour rendre compte de cette influence taoïste sur les personnages, et rappeler que l’homme et la nature ne forment qu’un tout Yu Hua utilise souvent des comparaisons liées à la nature. Lin Xingfu fait corps avec la terre au point que ses lèvres ressemblent à « des peaux de pommes de terre ». Même son caractère fait appel à des éléments naturels puisqu’il est décrit comme étant humble « comme un saule pleureur ».En reprenant cette comparaison pour Xaomei dont les cheveux sont semblables à « des lianes de saule pleureur »,Yu Hua semble vouloir souligner à la fois le lien indéfectible qui lie les personnages et matérialiser leur triste destin. Dès le début du roman, tout est scellé et leur destinée tracée.
Un roman qui emporte non seulement le lecteur par sa langue chatoyante : l’insertion de mots chinois, « kang », « qipao », « »li » apportant une touche d’exotisme, mais aussi par la beauté et la poésie de certaines images faisant contrepoint aux scènes de violence et de torture.