ALGÉRIE

AU VENT MAUVAIS de Kaouther Adimi

En bref:
une fresque historique qui nous plonge dans les guerres et conflits politiques ayant façonné l’Algérie de 1922 à l’aube du vingt et unième siècle
Pour aller plus loin :
Kaouther Adimi à travers le destin notamment de trois personnages Tarek, Leila et Saïd crée une fresque historique ayant pour but de nous présenter l’histoire de l’Algérie de 1922 à 1994.
Colonisée par les français depuis 1830, on se rend compte que les arabes ne sont pas libres de parler leur langue. Le père de Saïd refuse de renoncer à enseigner la langue arabe alors qu’un décret proscrit la pratique de cette langue. Plus tard ce même personnage sera arrêté aux alentours de 1955 pour avoir donné des cours d’arabe dans une mosquée.
Ainsi Kaouther Adimi nous fait réfléchir à ces liens qui ont uni l’Algérie à La France.
Enrôlement et ingratitude



FLN et Indépendance
Grâce au retour de Tarek à El Zahra on va donc suivre le combat que l’Algérie va mener pour obtenir son indépendance puisque le personnage rallie le FLN en 1957 après l’attentat de la rue de Thèbes qui, on le sait, fit 80 morts et 14 blessés. Il prend les armes et part dans les Aurès. On suit en pointillé les événements de cette lutte pour l’indépendance : l’emprisonnement d’un membre fondateur du FLN Mohamed Boudiaf par l’armée française, puis l’assassinat de Ben M’hidi, chef du FLN mort pendu.
La vie de Tarek se mêle de façon inextricable à histoire de son pays. L’indépendance de l’Algérie en 1962 est pour lui une fête car l’Algérie est devenue libre.Porteuse d’espoir, l’Algérie française néanmoins connaît des périodes troubles et la construction d’une identité algérienne n’est pas un long fleuve tranquille.
Trahisons et réalisation du film: la bataille d’Alger
On se rend compte que les arabes sont enrôlés de force au moment de la seconde guerre mondiale. À travers Tarek on mesure le comportement injuste des français face à ces soldats qui, souvent placés en première ligne lors des combats, ont connu non seulement la guerre, mais aussi parfois l’emprisonnement dans des camps allemands. Or lorsqu’ils reviennent de la guerre, on les parque à Versailles dans des casernes rudimentaires, privées de conditions d’hygiène décentes. L’auteur dénonce ainsi le comportement de l’armée française qui ne verse pas leur solde aux soldats et qui traite sans considération des hommes ayant donné leur vie pour une patrie qui n’est pas forcément la leur.
A cela s’ajoute le racisme des gens ordinaires, qui accueillent avec réticence ces hommes à la peau bronzée et aux cheveux crépus, oubliant très rapidement qu’ils leur doivent la victoire et la paix. Ils n’ont de cesse d’ailleurs de les isoler en les privant de liens sociaux, en les bannissant de lieux tels que le café ou le cinéma.
Traités comme des chiens naît progressivement un sentiment anti-français qui conduit ces mêmes soldats à ne plus vouloir honorer le drapeau français.Les premières mutineries qui éclatent dans ce roman ne sont que la conséquence de cette politique d’exclusion et de ségrégation menée à l’encontre de de ceux qui sont français quand on a besoin d’eux, mais arabes quand leur présence est jugée inopportune. Rafles, violences, la police agit par la force et les émeutes qui ont lieu à Versailles en 1944 sont un exemple de l’incompréhension qui se crée entre ces deux pays.




À travers lui on appréhende les déceptions, les trahisons que constituent certains événements: Ben Bella trahi par ceux qui l’avaient hissé au pouvoir en particulier le colonel Boumediene. Les chars de l’armée prennent position alors que le réalisateur Pontecorvo est en train de réaliser le film La Bataille d’Alger. En reconnaissant des chars russes Tarek prend conscience de la gravité de la situation, le discours de Boumédiene à la radio le conduit à méditer cette phrase de Larbi Ben M’hidi, un des fondateurs du FLN, exécuté par l’armée française lors de la bataille d’Alger: « Ce n’est qu’après notre victoire que commenceront les vraies difficultés» .
De Paris à Rome

Le FIS, un nouveau chapitre pour L’Algérie

En ouvrant un chapitre sur la date du 26 décembre 1991 Kaouther Adimi nous dévoile alors une Algérie au prise avec le Front islamique du salut, certains jeunes algériens tournent le dos résolument à tout ce qui a trait au FLN considéré désormais comme obsolète.Les héros d’hier sont conspués ou violentés et Tarek fuit la casbah d’Alger pour se soustraire à cette violence.Parce qu’il n’accepte pas cette utilisation politique de l’islam, il en vient à délaisser son Coran et sa gandoura.Les déceptions de Tarek culminent avec la mort de Boudiaf, le quatrième président depuis l’indépendance.Les gouttes de sang de Tarek qui s’est blessé symbolisent tout à la fois la mort de certains idéaux, l’enlisement de l’Algérie dans une nouvelle guerre avec l’émergence du terrorisme.
Avec le départ de Tarek pour Paris en 1966 Kaouther Adimi montre l‘importance du phénomène migratoire qui sera actif jusqu’en 1973. Pour les travailleurs algériens c’est la possibilité de subvenir aux besoins de leurs familles ; pour le pouvoir, un moyen d’obtenir des devises qui vont aider les régions déshéritées.Toutefois cet éden a des revers et l’auteur ne dissimule en rien les difficultés que connaissent les travailleurs algériens : les horaires stricts du foyer, les intrusions du patron dans les chambres en leur absence, et surtout la solitude, le mal du pays, les liens familiaux qui se délitent au fil des séparations…les agressions.Tarek prend d’ailleurs la décision de partir pour Rome après avoir été violemment battu par trois hommes n’acceptant toujours pas, en 1971, l’indépendance de l’Algérie.
La vie de Tarek à Rome constitue ensuite une parenthèse qui permet à l’auteur d’occulter ce qui se passe en Algérie. Grâce à une ellipse, elle nous transporte directement en 1991, passant sous silence la mort de Boumédiene en 1978( qui après avoir été chef de l’État Algérien fut président de la république de 73 à 78) puis l’élection de Chadli Benjedid en 1979 ainsi que ses réélections successives jusqu’en 1988.

Une réflexion sur la décolonisation

Pour donner une vision plus large des méfaits de la colonisation Khaouther Adimi fait référence à Franz Fanon.L’auteur des Damnés de la terre est cité peu avant que Kaouther Adimi ne fasse allusion à Yacef Saadi, héros de la bataille d‘Alger qui sera gracié par De Gaulle et qui va participer au tournage du film réalisé par Pontecorvo. Or ce film revient comme un leitmotiv dans le livre, l’obtention du lion d’or à la Mostra de Venise en fait un symbole pour tous les peuples opprimés, notamment les Black Panthers.En faisant allusion à l’émergence des Black Panthers l’auteur nous fait ainsi comprendre que les événements en Algérie s’inscrivent dans un mouvement plus large, celui de la décolonisation.
3 visages, 3 représentations de l’Algérie
À travers l’opposition de deux hommes nourris au même sein, mais évoluant de manières différentes Kaouther Adimi nous propose une vision allégorique de l’Algérie. Le berger Tarek, mutique correspond à une Algérie rurale soucieuse de préserver ses traditions, dans laquelle les femmes sont la plupart du temps vouées à éduquer les enfants, mais c’est aussi la beauté d’une Algérie attachée à ses racines à ses terres et à ses villages, alors que Saïd matérialise une Algérie plus évoluée, celle des intellectuels n’aspirant qu’à l’émancipation et à la modernité. Leur rivalité amoureuse permet de poser la question du sort de l’Algérie à travers la personne de Leïla.En effet Saïd en veut à Tarek d’avoir cantonné Leila à procréer et élever des enfants.
Les choix de vie de ces différents personnages dessinent différents visages de lAlgérie, chacun luttant à sa manière pour construire l’Algérie dont ils rêvent.