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BERNHARD SCHLINK, La petite fille

EN BREF

Un roman qui, en prenant la forme d’une enquête, explore les liens familiaux entre un grand-père et sa petite fille.Après le décès de sa femme,  Kaspar part à la recherche de la fille qu’elle a abandonnée au moment de sa fuite vers l’Allemagne de l’Ouest. Malgré les idées particulières de Sigrun, élevée et  façonnée par les idées d’extrême droite que défend sa mère et son beau-père, le grand-père parvient à créer un lien étroit avec sa petite fille.

POUR ALLER PLUS LOIN

Un livre qui fonctionne comme une enquête familiale et politique

En effet Kaspar, après le décès de sa femme, descend, à l’instar d’Orphée, dans le royaume des ombres afin de mieux cerner une personnalité qui lui a échappé. En essayant d’accéder à son ordinateur il découvre tout un pan de vie qu’il ignorait. À la troisième personne sur laquelle s’est ouvert le roman se substitue  alors,  grâce à une mise en abîme, la  voix de Birgit nous révélant sa vie en RDA: son amour déçu pour Léo Weise, sa grossesse, puis la naissance de sa fille abandonnée pour partir à l’Ouest.


À travers ces notes rédigées dans le but d’écrire un livre affleurent tous les tourments et les peurs d’une femme hantée par cet abandon et qui n’aura de cesse de mener des recherches afin de retrouver la trace de sa fille, tout en différant le voyage pour la rencontrer.

Dans la deuxième partie Kaspar, inconsolable depuis la mort de sa femme, reprend minutieusement cette enquête qui le mène jusqu’à la meilleure amie de Birgit, Paula. Grâce aux informations qu’elle lui livre, il parvient à rencontrer Léo Weise,  et à reconstituer ainsi, au fil de ses pérégrinations et de ses rencontres, l’enfance tumultueuse de  Senja, la fille de Birgit.

L’enquête de Kaspar nous plonge dans le parcours d’une adolescente révoltée qui va rejeter le système communiste incarné par son père pour devenir skinhead puis intégrer des groupes ultra violents d’extrême droite. 

Svenja au départ fait partie de la jeunesse libre allemande destinée à promouvoir les idées socialistes. Sportive et bonne lectrice, elle intègre les pionniers Thälmann et rêve de devenir médecin. Mais son aspiration à la liberté la pousse à  se mettre en danger et à commettre des infractions.Pour mater cette jeunesse indisciplinée, Léo Weise, en bon communiste, fait enfermer sa fille dans le centre de redressement de Torgau. La discipline quasi militaire du centre est conçue pour briser les fortes têtes. Mais dans le cas de Svenja les brimades, les coups reçus n’auront pour effet que de la pousser à retourner cette violence contre le système d’où elle est issue.

Grâce à Senja ,Bernard Schlink nous livre le portrait d’une génération perdue dont les formations n’ont plus aucune valeur au moment de la réunification, une jeunesse déclassée ayant trouvé refuge au sein de l’extrême droite.


Sur les traces  de l’extrême droite dans l’ex RDA 

En effet en 2024 l’extrême droite est la force la plus importante dans les anciens Länder de RDA, elle arrive même en tête dans le Land de Thuringe. 

Le livre met en lumière l’importance que revêt le mouvement völkisch né au XIX et précurseur du nazisme.Kaspar parvient peu à peu à retrouver la trace de Svenja qui vit en Saxe un des Länder où ce mouvement est très implanté (ainsi que dans le Schleswig-Holstein, le Meklembourg- Vorpommern et le Brandebourg). Mariée à Bjorn, elle vit dans une ferme car le but de ce mouvement est de pratiquer un colonialisme ethnique en achetant les fermes abandonnées de la RDA et de diffuser leurs croyances en la supériorité de la race.

Teintés d’écologisme, respectueux des traditions et aspirant à retrouver la grandeur passée de l’Allemagne, ces hommes élèvent leurs enfants en promouvant non seulement les valeurs rurales, mais aussi la xénophobie.Ils leur enseignent à respecter les traditions et à exercer leur force physique lors de concours organisés pour fêter les récoltes. 

L’Art d’être grand-père, l’éveil.

Abreuvée à cette idéologie, Sigrun, la petite fille, est profondément nationaliste et ses héros, au grand désespoir de son grand-père sont Rudolf Hess, Friedrich Wilhelm Krüger et Irma Grese.  Si le premier a été un lieutenant totalement dévoué à Hitler, le second a été chef des SS et de la police en Pologne. Quant à la troisième, surnommée « l’ange blond d’Auschwitz» elle fut réputée pour son extrême cruauté en tant que gardienne. Ayant fait ses débuts à 18 ans à Ravensbruck, Sigrun aspire à visiter le camp de son idole.

Krüger
Irma Grese

Face à sa petite fille Kaspar entend être le meilleur grand-père possible et souhaite sauver son âme. De ce fait plutôt que de lui asséner des discours, il essaie avec subtilité de « l’atteindre » en lui faisant découvrir un monde différent du sien et en combattant progressivement ses préjugés ainsi que sa vision erronée de l’Histoire.En exploitant la cupidité de Bjorn, il réussit à obtenir que Sigrun vienne à Berlin et passe ses vacances avec lui.Commence alors une lente initiation à la musique, au piano, aux livres parfois différents de ceux qu’elle a lus jusqu’à présent.Au-delà de certaines tensions, se développe entre ces deux être un amour profond et sincère.Commence aussi pour Sigrun un éveil qui l’amènera en Australie.

Deux Allemagnes dos à dos

Ce livre met aussi en lumière, grâce au personnage de Birgit, les sentiments nourris par un allemand de l’ancienne république démocratique face à l’Ouest.
En effet Brigit ne parviendra jamais à trouver véritablement sa place en Allemagne de l’ouest au point de sombrer peu à peu dans l’alcool  afin d’oublier son sentiment de non appartenance et surtout de vide procuré par l’effacement de ce qui fut  son pays.

Le socialisme a représenté pour elle un rêve, l’espoir de construire une société meilleure, l’espoir de bâtir sur les ruines du nazisme « un pays neuf et un homme nouveau ». d’autant que son père avait appartenu aux S.S.
Lorsqu’elle rencontre Kaspar lors d’échanges entre jeunes allemands de l’Est et de l’Ouest  au moment d’un week end de Pentecôte en 1964, elle défend encore avec âpreté les idées du régime et justifie l’édification du mur. Toutefois graduellement l’espace créé par les discussions avec Kaspar, et touchant à tous les sujets l’amènent peu à peu à ne plus avoir foi en l’idéologie communiste. Derrière le collectivisme naît  ainsi un désir d’individualité et,  avec  la naissance de l’amour, s’exacerbe la revendication du droit à un bonheur personnel.

Pour conclure

Un livre dense, qui nous conduit à épouser le questionnement de Kaspar, ses doutes, ses inquiétudes quant aux idées de Sigrun. Un roman d‘amour qui introduit surtout une réflexion intéressante sur la montée de l’extrême droite dans l’ancienne RDA.

Ce que met en lumière Schlink c’est ce sentiment de supériorité teinté de mépris dont ont usé les allemands de l’Ouest face à l’Est.

Birgit  en tant que réfugiée supporte difficilement la condescendance dont on fait preuve à son égard.Chaque démarche, administrative, chaque geste est une humiliation qui lui rappelle qu’elle doit accepter sans broncher ce qu’on lui donne, même si cela ne lui convient pas.Quel que soit les gens que fréquente Birgit, ouvriers de chez Siemens ou universitaires et étudiants,  leur attitude dissimule  en fait une méconnaissance de l’âme humaine, car tous ces allemands bien pensants ne veulent pas comprendre qu’une réfugiée de l’Est puisse avoir la nostalgie de son pays sous prétexte que la RFA incarne la liberté et la RDA l’oppression.Figés dans leurs idées, pétris d’arrogance, ils rabaissent leurs concitoyens dès lors qu’ils décèlent chez eux cette incapacité à renier totalement leur pays d’origine. 

Ce mépris, le déclassement économique et sociale de l’ancienne RDA explique la montée de l’extrême droite dans cette partie de l’Allemagne.

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